Les timbres, les répétitions et les effets de percussion poussent à considérer Carl Orff avant tout comme un rythmicien. Et pourtant, depuis ses premiers essais de composition, Orff est un mélodiste. Les Carmina Burana, qui furent écrits en 1935/1936 et dont Orff disait « avec eux commencent mes œuvres complètes », soulignent mieux qu’aucune autre partition l’option personnelle de leur auteur.
A côté de la mélodie, tantôt chantante, tantôt déclamée, s’affirme toute la densité d’une sonorité enflammée de rythmes élémentaires, caractéristiques de Carl Orff et qui se déploie ici pour la première fois entièrement.
La mélodie expressive, les rythmes marqués, la sonorité élémentaire, soulignent la tendance à l’universel, à l’objectif. Il ne s’agit pas de destin individuel – il n’y a pas de « personnages » dans le sens habituel – mais de l’évocation de puissances élémentaires telles que l’implacable rêve de Fortuna, la force vivifiante du Printemps, les effets bouleversants de l’Amour et cet excès d’humanité dans l’homme qui le pousse à toutes les jouissances terrestres. L’acteur principal est l’homme, en tant que porteur de l’essence irresponsable de la nature. Cette orientation vers l’universel correspond à l’idée que Carl Orff se fait de son œuvre : une unité de mouvement, de chant, de danse, de timbre et d’images magiques.
Le manuscrit anonyme a été retrouvé en 1803 dans le couvent de Benediktbeuren, près de Kochelsee ; les auteurs en sont des poètes vagabonds des 12ème et 13ème siècles qui écrivaient en latin, en moyen-haut-allemand et en français, des textes chargés d’une révolte juvénile, violente et parodique. Chants de louange au Printemps et à l’amour, railleries et bruyantes chansons à boire (témoignages de la révolte de la jeunesse contre le monde durement organisé du Moyen-âge) se joignent en un triptyque enchâssé dans l’invocation du destin (Ô Fortuna) et chantent dans la première partie, la rencontre de l’homme et de la nature (Veris leta facies), dans la seconde, la joie du vin (In taberna) et enfin l’Amour (Amor volat undique). Ces chants reflètent dans une langue impulsive, parfois rude et osée, une vie dominée par l’implacable roue du destin. Fortuna et Anake, le Moyen-âge germanique et la Grèce antique, se rencontrent dans cette conception revendicatrice et cependant fataliste de l’existence.
Carl Orff a donné en sous-titre à ses Carmina Burana, ouvrage créé en 1937 à Francfort, la mention « Cantiones profanae cantoribus et choris cantandae comitantibus instrumentis atque imaginibus magicis ». Il a ainsi souligné ses intentions ; il ne s’agit pas là d’une simple mise en musique des textes profanes du manuscrit de Benediktbeuren, mais bien de tableaux magiques qui évoquent avec tous les moyens du théâtre, l’extase qui soulevait le drame antique. Une condition supérieure qui va de pair avec la protestation des vagabonds doit remplacer l’illusion romantique d’essence moyenâgeuse. L’énergie originelle vitale et le destin impénétrable, deux conceptions élémentaires de théâtre d’Orff, sont ici célébrés.